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#21 Histoire de Résistance : proyecto Tren Maya

Dernière mise à jour : 21 mars 2023

Buenas tardes coupains et coudspines,


bienvenu.e.s à la suite du blogpost #19 où je vous raconte l’Histoire de Résistance en live du Tren Maya (FR : Train Maya) et de la 8ème édition du Tribunal local pour les droits de la Nature auquel j’ai participé. Si tout ceci ne vous dit rien, je vous encourage à aller le (re)lire, tout y est expliqué!


Cher journal,

Me revoilà dans notre bel et confortable Casa à Guadalajara après cette folle semaine au Yucatán. Le soleil brille, j'ai le cœur, l'âme et le corps débordant de tout ce que j'ai vécu depuis la dernière fois que je t'ai écrit. C'est comme si la planète tourne toujours, le train Maya est toujours en construction, j'ai cours de salsa cette après-midi et je dois faire la vaisselle. Rien n'a changé et pourtant, j'ai cette sensation que pour moi cette expérience a enclenché une réelle transformation, compréhension et réalisation à tous les niveaux. ….”


Ainsi commence mon dernier journal entry. Et vu que je ne pourrais vous raconter toute cette expérience autrement que de mon point de vue personnel, je vous fais l’honneur (oui, oui, l’honneur!) de vous partager ces passages, vous faisant le retour intégral de ce Tribunal pour les Droits de la Nature contre leTrain Maya et de toute l’expérience folle et bouleversante que fût cette Histoire de Résistance Je suis arrivée au Yucátan mardi passé et après quelques premières journées chahutées d’organisation, de logistique, mais aussi vraiment de galère de stagiaire qui touche rien (je vous jure, c’est pas facile d’acheter du papier toilette et des bananes pour 150 personnes!), tout s’est accéléré à partir du vendredi. C’était la veille du Tribunal et le jour où étaient prévus les visites des juges aux communautés indigènes lésées par le train, dans le but de recueillir leurs témoignages et de se faire une idée de la réalité des impacts du Train Maya. J’avais réussi à convaincre ma boss de me laisser les accompagner à la première communauté, celle de Piste, avant de retourner sur le lieu du Tribunal pour continuer la préparation.


Alors? Prêt.e.s à plonger dans mes chroniques? C’est parti (sortez les mouchoirs) !


“C'est donc pleine de courage, munie de mes chaussures de marche (on ne sait jamais) que le lendemain, je traversais les rues colorées de Valladolid, en route vers la gare des bus. Ironiquement juste devant l'école où se passerait le tribunal le lendemain, il y avait des rails de train.


Je suis arrivée pressée à la gare et je m’en suis voulue de ne pas être partie plus tôt quand la dame des guichets m'a annoncé que le bus pour Piste venait de quitter et que le prochain partait dans 1h. Trop tard pour rejoindre les autres. Dans un élan de désespoir où d’intuition, ou encore de cette force de l'Univers qui nous fait bien faire les choses parfois, je me suis lancée vers le quai des départs pour interroger le chef de gare. Et - oui! - merci le cosmos, les étoiles alignées, les retards mexicains et leur gentillesse, le bus pour Piste m’attendait encore et j'ai pu monter en dernière minute. Je me suis dit qu'en Finlande, il n'aurait probablement jamais accepté que je monte avec un billet pour le bus d'après…


Un joli trajet qui passait par Chichen Itza et ses fameuses pyramides Mayas, les indications de Mexicains sympas et une petite foulée plus tard, je me trouvais à Piste devant une curieuse sorte de centre communautaire et culturel dédié à l'art Maya.


J’ai débarqué sur un petit patio tout mignon couvert, rempli de plantes où, assis en cercle, attendait déjà une bonne partie de la Communauté Piste. Stéréotypée comme je suis dans ma tête, il ne m'attendait pas dans une hutte en bambou au milieu de la jungle autour d'un feu à moitié nu, en train de faire un rituel ou je ne sais quoi. Ils étaient habillés tout à fait “normalement” et paraissaient complètement banaux : des paysans et agriculteurs et artisans mexicains, si ce n'est que cette dignité, cette détermination et cette sagesse qui semblait être imprégnée dans leur traits, leur peau tannée et leurs cheveux noirs. J'ai été frappée par leur accueil chaleureux, l’amabilité qui brillait dans leurs yeux et leurs sourires, et les liens forts de communauté presque tangibles qui semblaient tous les relier.


L’un d’eux était Pedro, un agriculteur, d’une 70aine d’années luttant pour la cause indigène depuis toute sa vie. Il y avait aussi Alvaro et Bi’ani, un couple travaillant tous les 2 pour des organisations luttant pour les peuples indigènes. Paula, dédiant sa vie à l'éducation des enfants à troubles mentaux physiques de la Communauté, Sussano, Maria Flor et tant d'autres.


Pedro, en sa qualité de leader du Conseil indigène de la Communauté de Piste et des communautés agricoles des alentours, a pris la parole pour retracer un peu l'histoire de résistance de la Communauté. Il nous a parlé de Monsanto, empoisonnant les champs de glyphosate, de contrats forcés d'usufruit, exploitant l'ignorance des Mayas des lois et de leurs droits, de “méga-granges” de porcs, contaminant l'eau des rivières et des cénotes. Mais aussi de déforestation énorme pour des parcs éoliens et panneaux solaires. D’ailleurs, j'ai trouvé cette perspective très intéressante car généralement, on ne pense pas au revers de la médaille de ses chères énergies renouvelables, qui sont pourtant toujours prônées comme la solution miracle par les Verts traditionnels. Ici les Mayas semblaient porter une critique énorme à ces “méga-projets” verts en poussant la réflexion à se demander ce qui était sacrifié pour permettre leur construction et ensuite à quoi servirait et à qui bénéficierait cette nouvelle énergie générée au final. Il a terminé en expliquant à la Communauté que la bataille actuelle était celle du Train Maya. Ce méga projet entamé par un président, dans lequel, pourtant, la Communauté avait initialement investi beaucoup d'espoir pour la défense de leurs droits et de leurs terres et qui jouit d’un appui et d’un soutien historique.

La délégation n'a pas tardé. Les juges avaient toutes des personnalités incroyables et des profils divers de l'Amérique latine entière. J'ai, initialement, été très impressionnée par Yaku Perez, ex-candidat aux présidentielles d'Équateur et membre du peuple Kichwa. Il a fait un speech en langue indigène et avait quelque chose de spirituel et fort. Par la suite, je n'aurais pu dire lequel des juges m'inspirait le plus. : le Padre Raoul Vera, sacerdote aguerri d'une 80aine d'années, voûté par ces années de militantisme pour les peuples indigènes, les femmes, la communauté LGBTQ+ et aux côtés des zapatistes. Ou encore Maristella Svampa, une sociologue argentine au tempérament égalant son expertise et sa reconnaissance internationale dans le domaine environnemental et des luttes de gauche. Ou encore Francesco Martone et Alberto Saldamando, qui brillaiente de leur engagement et activisme féroce.


On est resté là toute la matinée à écouter des témoignages révoltés et révoltants. Je pense que ce qui m'a le plus mis la boule au ventre était le manque total de consultation de ces personnes et comment ils ont été forcés par des contrats louches, promesses vaines d'indemnisation ou tout simplement par la force militaire de laisser ou vendre leurs terres. Ils nous ont aussi servi du atolé, une sorte de bouillie de maïs au miel et de délicieux tamales (de la pâte de maïs fourrée, cuite à la vapeur dans des feuilles de bambou).

Après ça, les juges sont partis pour la prochaine Communauté et je suis restée encore un peu avec Alvaro et Pedro. Ils me parlaient de la culture Maya. Il expliquait que selon eux, toute chose, vivante ou non, avait un Ool, ou un esprit. Ainsi, il existe des boissons et nourritures calientes et frias n'ayant rien à voir avec leur température mais bien avec leurs esprit et leurs effets sur le corps. Pour eux, tout est question d’équilibre entre tous ces opposés : calientes et frias, homme et femme, mal et bien… Tout est également question d’équilibre, de partage et de connexion à la terre avec la communauté et la nature pour lieux suprême pour se réaliser en tant qu’individu.


Quand je suis retournée au lieu du Tribunal, il y avait Adolfo, le doyen de l'école. Ensemble, on a accroché les bâches pour le lendemain, j'ai installé les chaises et le Padre Atilano, autre doyen de l'école, est arrivé en même temps que Alvaro Bi’Ani et Pedro, qui m'ont emmené boire des bières. Autour de crevettes, tortillas et poissons frits, ils m'ont tous raconté un peu leur histoire. J'ai surtout été marqué par celle de Pedro qui en plus d'être agriculteur, est écrivain et poète primé pour ses apports et divulgations de la langue Maya (il a même traduit la Bible en Maya!). Cependant il a été licencié de l'Université où il était prof et lui et toute sa famille sont menacés de mort pour ses revendications et son activisme. On a aussi appris à ce moment-là qu'une des communautés ne pouvait pas venir le lendemain, menacée par l'armée. Cela m’a paru tellement irréel. J'ai regagné le lieu du Tribunal et le reste de l’équipe est arrivé et lorsque la nuit est tombée, tout semblait être prêt. Je suis arrivée à l'hôtel où j'ai attendu la délégation des juges, exténuée. Je n'ai pas dormi de la nuit, repassant tout ce que j’avais entendu et stressant pour des histoires de micros et de logistique.


On s'est réveillé tôt le lendemain et les premières heures sont passées à une vitesse éclair, entre essayer de déjeuner, mettre tout en place, coller les affiches, retester les micros, etc. Le tribunal a ouvert avec un rituel de Yaku, installant un bol d'eau et quelques fleurs devant la scène qui représentait la Nature comme défenderesse et revendicatrice de ses droits. On s’est tous tenus les mains et fait des câlins pour symboliser notre interconnection de tous.


J'avoue que la première partie de la journée était stressante et que, plus que pouvoir écouter toutes ces interventions, je courais dans tous les sens, physiquement et mentalement, pour essayer de pallier les divers soucis techniques, minuter les interventions, changer les affichettes de noms sur le pupitre, etc. Mais voici, tout de même les points qui m’ont paru les plus importants :

  • La multitude des témoignages des diverses communautés indigènes partageant toutes la même histoire de répression et d'oppression, de violation de leurs droits, d’expropriation et de destruction de leurs terres sous le couvert du mot “développement”. Je me rappelle très bien de l’un d’eux demandait :

Mais développement de quoi, au juste? Par rapport à quel standard et au bénéfice de qui?”. Il décrivait également le stigma de “pauvres indigènes sous-développés” à qui l’Etat impose une modernisation forcée.

  • L’ironie du nom “Tren Maya” pointée par tous. L’un de leurs slogans forts était “Ni Maya, Ni solo un Tren!” ou encore “Este Tren no es Maya, este Tren es militar”.

  • Le témoignage de l'anthropologue Giovanna Gasparello exposant la logique autoritaire, de colonisation intérieure (opprimant son propre peuple, les régions dans lesquels le train est prévu regroupe 32% des peuples indigènes du Mexique) et d'objectivation de la nature (dont les ressources sont vues comme simples potentiels revenus à exploiter pour le tourisme, sans lui reconnaitre aucune valeur propre et nier sa richesse culturelle et spirituelle).

  • Le témoignage du docteur en droit, Francisco Lopez, énumérant tous les articles de la Constitution mexicaine et du droit international violés et qualifiant juridiquement le train Maya de génocide ethnocide et écocide.

  • Luis Zambrano, biologiste et écologiste, dénonçant le manque total d'études d'impact environnemental. Il expliquait aussi que les autorités ont complètement nié le rapport d'observation que son équipe a soumis, ainsi que leur demande de consulter le master plan complet du projet. Celles-ci ont également fait usage de diverses entourloupes juridiques par voie de décret pour déjouer les délais légaux et les obligations de licence environnementales.

  • Les explications de Esther Ceña, politologue, exposant le cadre géopolitique plus large en démontrant que le train, avec l'autre méga projet du corredor transístmico (1) traduit l'ambition du Mexique de s'incorporer au marché Étatsuniens. Elle démontrait que les USA ont pour objectif d'étendre leur pouvoir et contrôle mercantile en réponse au méga-projet de la route de Soie de son rivale, la Chine. Cela m'a rappelé que Pedro expliquait que le Train Maya servait tous les intérêts des USA en lui donnant plus de routes de marché tout en créant, via son énorme infrastructure de rails difficiles à traverser, une barrière physique supplémentaire contre la migration Sud-Nord.

Le reste de la journée s'est déroulé très vite, les juges se sont retirés pour délibérer pendant quelque heures et le verdict est tombé. Celui-ci peut-être lu intégralement dans le communiqué de presse du Tribunal ici. Voici le passage traduit de la décision finale :

Conformément aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de la nature, de la Convention 169 de l'OIT, de la Déclaration des Nations unies et de l'OEA sur les droits des peuples autochtones, de la Convention sur la biodiversité, de la Convention d'Escazu et de la Convention sur la diversité biologique. Nature, la convention 169 de l'OIT, la déclaration des Nations unies et de l'OEA sur les droits des peuples autochtones, la convention sur la biodiversité, l'accord d'Escazú, l'agenda 2030 et la jurisprudence émise par le système interaméricain et le système universel des droits de l'homme ainsi que la législation des États-Unis du Mexique ; le Tribunal éthique, au nom des droits de la Mère Nature, de l'Humanité et des générations à venir, décide:

1. De reconnaître de manière irréfutable la violation des Droits de la Nature, ainsi que des Droits de l'Homme, individuels et collectifs, ainsi que les droits bioculturel du peuple Maya, qui ancestralement a toujours été les protecteurs et gardiens de son territoire, des cénotes, de la forêt et des êtres vivants non-humains qui habitent ce-dit territoire, et des générations à venir. Tout cela constitue des crimes d'écocide et d'ethnocide. Le Tribunal tient l'État mexicain responsable pour la violation de ces droits fondamentaux.

2. De demander aux autorités de l'État de la République mexicaine de suspendre immédiatement le mégaprojet. Tren Maya et de toutes ses composantes, ainsi que la démilitarisation des territoires indigènes. Nous lançons un appel urgent à l'Etat et à l'intervention des organisations internationales, régionales et nationales de défense des droits de l'homme pour mettre un terme à la dépossession des peuples indigènes, ainsi qu'aux persécutions, menaces, harcèlements et violences des défenseurs et défenderesses environnementaux dont ils sont victimes et dont le Tribunal a été le témoin direct, garantissant le droit à la libre expression et à la défense des biocultures.

3. La réparation intégrale des dommages écologiques et sociaux causés par l'exécution du mégaprojet du Train Maya et de ses installations collatérales.

4. Un audit indépendant, inter- et trans-disciplinaire et interculturel soit initié, avec la participation pleine et effective des populations affectées.

5. Nous demandons instamment aux pouvoirs exécutif et législatif de procéder à des réformes constitutionnelles au niveau fédéral, comme l'ont déjà fait certains États (la ville de Mexico, Colima, Oaxaca et Guerrero) pour la reconnaissance des droits de la Nature en tant que sujet de droits..

De même, nous recommandons la révision de la loi qui établit la propriété sociale de la terre, afin que cette loi soit remplacée par une loi qui prenne en compte la fonction socio-écologique du territoire dans sa relation indissoluble avec les pratiques culturelles durables des peuples et des communautés qui l'habitent ancestralement.


J'avais un fort mélange de sentiments d'euphorie et de dépit. Ce tribunal, ne changera sûrement pas le cours des choses, et arrêtera encore moins ce train contrairement à ce que le verdict demandait. Tout le monde le savait. J'ai demandé à de multiples participants ce qu'ils espéraient de ce tribunal et aucun ne se disait dupe. Effectivement, ce verdict n’arrêtera pas la déforestation, ni la destruction des cenotes et des ruines Maya, ni les expropriations injustes, ni le massacre des jaguars, ni la perpétuation de ces systèmes mortifères et ces logiques marchandes tentant d'annihiler toute proposition de vie alternative comme celle des Mayas. Mais à la fois, ce tribunal aura donné un lieu de rencontre, de soutien, de lutte à ceux qui résistent, aura donné une voix aux opprimés et un outil de lutte, de pression et de visibilisation politique et médiatique, une lueur d'espoir, aussi petite soit-elle. Et voir toutes les personnes de tant d'horizons et professions différentes, décriant ensemble l'injustice, faisant abnégation de leur confort et même de leur sécurité personnelle pour défendre ce qui leur est cher et bon, méritait toutes l’euphorie du moment.

J'ai parlé à d'innombrables personnes, reçu des mercis, des câlins, des poignées de main et même une invitation à participer à une caravane zapatiste. Et on est parti manger avec les juges. J'avais peur de ne pas rester auprès de ces jeunes Mayas et résistants avec qui je voulais encore tellement échanger. Mais les juges étaient fatigués et affamés.


Sur le chemin vers le restaurant, Yaku me racontait ses 6 incarcérations (selon lui, la meilleure école de la résistance), ses manifestations étudiantes, ces élections volées. Au resto, ça parlait politique américo-latine à laquelle je ne touchais pas beaucoup, mais j'adorais les écouter. On est tous retournés à l'hôtel et on s'est endormi, épuisés.


Au petit matin, après un voyage où j'ai dormi quasi sur l'épaule de Maristella (oops) et un petit déjeuner rapide (mjammm les chilaquiles au molé, je vous jure, la cuisine mexicaine bat tous les records!), on est allé visiter le Tramo 5, une partie déjà bien avancée de la construction du train. Mon cœur s'est brisé devant ces énormes machines qui, comme des monstres aux bras de métal, arrachaient arbre après arbre, chassant tous leurs habitants, et traçant un sinistre corridor de bien 90 mètres de large pour les futurs rails. J'ai senti une boule d'amertume monter dans la gorge quand je voyais les affiches gouvernementales placées le long des chantiers interdisant de détruire des plantes ou de chasser ou emmener des animaux. Une “propagande verte” du train d’un cynisme et d'une ironie à vomir. On pouvait tout le long du chemin, distinguer des ruines Maya et des cénotes déjà détruits ou sur le point de l’être. En effet, en plus de de contaminer l'eau potable de ces cavernes souterraines, afin que les rails puissent être construits sur terre ferme, le chantier est constitué de gros piliers d’acier qui les perforent verticalement.


Deux biologistes et ingénieurs , menant un collectif organisant des visites dans ces lieux pour sensibiliser le public aux impacts du train, nous attendaient. Ils nous ont guidés dans la descente vers ce qui m'a semblé être le ventre de la terre. J’ai été particulièrement impressionnée par le Padre Raul Vera qui, du haut de son grand âge, a fait toute la descente avec nous et je me suis promise, qu’à son âge, je serais encore capable de faire pareil!


Ils nous ont tous donné des casques à lumière pour découvrir là, en bas, un autre monde : des rochers de toutes tailles formaient un drôle de plafond dont descendaient à certains endroits, les racines des arbres au-dessus de nous.


Ils nous ont donné quelques explications sur l'absurdité écologique (détruire les cénotes) ; humanitaire (détruire des sources d'eau potable); économique (le prix énorme de ces travaux) et d'ingénierie (soutenir des rails sur des piliers d’acier perforant les cénotes, alors qu'il est difficile de savoir où commence la terre réellement ferme, car c'est de la roche poreuse qui ne cesse de se mouvoir. Ensuite nous nous sommes déchaussés et dévêtis et on les a suivis plus loin dans les cavernes.


L'eau était limpide et d'une pureté et couleur rare. On en a bu et c’était délicieux! Nous nous sommes tous baignés entre les petits poissons et les chauves-souris, et je me sentais si honorée de pouvoir être là dans ce lieu millénaire qui avait quelque chose de sacré. J'ai ressenti une énorme reconnaissance pour toutes ces personnes dédiant leur vie à la défense et préservation de ces lieux. C'est sûr, je veux joindre mes forces aux leurs. Je ne vois aucun autre sens à ma vie.


Il nous invitait à éteindre nos lumières et à prendre une minute en silence pour absorber tout cela. Une des minutes les plus intenses de ma vie. Je ressentais tout à la fois : cette eau presque magique qui remontait jusqu’à mon torse, les autres près de moi (dont un nouvel ami Maya dont sa communauté dépend de cette eau, que je sentais respirer à côté de moi), l'odeur de la roche. J’entendais les gouttes et le grouillement de la vie et à la fois un silence énorme et profond. Et j'ai laissé des larmes silencieuses couler sur mes joues. Des larmes de détresse, de rage, d'horreur, de tristesse pour ce cénote bientôt détruit, pour tout ce qui est infligé à notre planète et à ces êtres vivants qui n’ont rien demandés, mais à la fois des larmes, d'émerveillement, de joie, de gratitude, de pouvoir être là, de vivre et d’avoir une chance de contribuer à changer le cours des choses. On est retourné et tout s'est enchaîné entre dernières photos des juges et dire au revoir à tout le monde. Le van avec lequel on a voyagé était bien rempli (ce que j'aime, cet esprit joyeux, simple, spontané des activistes) et on a quitté le chantier.


Le cœur bien rempli je les ai tous quittés et pris un taxi vers la centrale du bus de Mérida. Une dernière anecdote marquante m'attendait avec mon chauffeur de taxi pour l'aéroport. Quand je lui ai raconté un peu et demandé son opinion sur le fameux train, il m'a dit qu'il avait vu, lors de ses multiples voyages à travers le Yucatán, les routes jonchées d’ animaux morts chassés de la forêt à cause des chantiers. Il exprimait sa rage, son dégoût mais aussi son impuissance. Il me disait qu'il adorerait, lui aussi, militer, venir au tribunal mais que s'il loupait une journée de travail, cela signifiait pas de nourriture sur la table ce soir pour lui, sa femme et son fils. Résister et militer est un privilège, je m'en rends bien compte et quand j'ai vu, à ma grande surprise qu'il pleurait, je me suis sentie tout aussi impuissante face à ce système qui semble emprisonner et bloquer toute remise en question ou prise d’action. Il m'a fait un gros câlin en me donnant mon sac à dos et c'est un peu anesthésié que j’ai regagné les rues à présent familières de Guadalajara.


Je me sens transformée, déterminée, motivée, tout en ignorant vraiment que faire de tout ça. J'ai tout de même justement l'impression d'avoir vu à travers toutes ces personnes inspirantes que c'est possible de lutter tout en vivant, et de trouver un moyen de se rendre, chacun selon ses capacités et compétences, utile à cette cause ultime. Ultime car il s’agit de la Vie, de la Nature, de l’Eau, des Forêts, des Mayas, de Vous, de Moi, tous interconnectés et duquel tout, absolument tout, dépend. Ce Train n’est qu’un exemple des milliers de mégaprojets se réalisant partout sur la face de notre Terre est chacun d’eux n’est que l’expression du même système capitaliste nous poussant tous à notre perte afin qu’une infime partie de la population se remplisse les poches au prix de la souffrance des minorités et de la destruction de richesses naturelles et culturelles.


C’est dur, c’est rude, c’est révoltant, mais ce qui est sûr, c'est que, comme le disait l’un des Mayas de Piste : “C'est pas facile de lutter, mais il faut le faire coûte que coûte, c'est trop important, même si on perd, ce sera toujours un arbre, un cénote, une vie ou un champ de gagné. Et puis, rien que de lutter pour ce qui est bon et juste et ne pas abandonner, c’est déjà gagner”


Voilà pour cette Histoire de Résistance en live! Le Tribunal a joui d’une énorme réaction médiatique dans tout le Mexique et alentours, ce qui est génial! Et si cela vous intéresse, voici un tas de ressources et articles pour approfondir ce sujet :


  • articles sur el Tribunal en espagnol (parmis tant d’autres!) :




Bon dimanche et bonne semaine!


(1) Comme son nom l'indique, il s'agit d'un projet dont l'objectif est de relier les océans Atlantique et Pacifique grâce à un axe de transport ferroviaire de 200 kilomètres reliant les ports de Coatzacoalcos, Veracruz, et de Salina Cruz, Oaxaca.

(2) file:///C:/Users/User/Downloads/Comunicado%20de%20prensa%20-%20Tribunal%20Tren%20Maya%20FINAL%20(2).pdf










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